vendredi 29 janvier 2021

Fahrenheit 451: une dystopie à revoir et lire...

 


Certaines œuvres ne tiennent pas l’épreuve du temps, d’autres se redécouvrent, prennent de l’épaisseur (bref sont intemporelles). C’est le cas de « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury , et plus exactement ici de son adaptation au cinéma par François Truffeau.

Pour ce qui est de la SF, j’avoue que Ray Bradbury est ma première référence. Ses nouvelles (et ses courts romans) véhiculent en eux une certaine poésie qui m’émeut terriblement. Je ne suis pas sensible à la « hard SF ». Ce qui m’intéresse au fond c’est l’humain, surtout l’humain et son rapport à l’autre, à lui, au monde, à la vie. J’ai lu une bonne dizaine de fois « Les Chroniques Martiennes », je l’ai prêté et perdu plusieurs fois (signe que ce livre ne laisse pas indifférent 😊), mais c’est au cinéma que j’ai découvert « Fahrenheit 451 »qui, dans ma mémoire est assez fidèle au roman . À l’époque, adolescente j’avais été surtout séduite par le caractère « rétrofuturiste » du film, mais si le sujet m’ importait , je préférais de loin « 1984 » le roman de Georges Orwell.

Pour autant, dans ces temps troublés, « Fahrenheit 451 » m’a fait de l’oeil et , après visionnage, j’admets volontiers que le film a gagné (à mon sens) en puissance… Ce qui me fait, du reste entrevoir de manière plus affective qu’intellectuelle, l’importance de l’accueil d’une œuvre artistique en fonction du contexte…

Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire de « Fahrenheit 451 », le résumé est assez simple : « c’est l’histoire de la prise de conscience d’un homme qu’il vit dans une société aliénante » . Pourtant, « Fahrenheit 451 » ne traite que d’un aspect de cette société et un aspect qui est, à bien des égards, considéré actuellement comme « non essentiel », à savoir la lecture, et donc les œuvres littéraires (et au fond les autrices et auteurs) (mais c'est qu'il n'ont pas lu mon interview avec G; Gale "L'art soigne l'âme"). Dans la société imaginée par Ray Bradbury les livres sont jugés « nuisibles » et donc systématiquement « traqués » et brûlés par des brigades habillées en « pompiers », tandis que les détenteurs sont récupérés par la police. L’auteur n’a pas eu à aller chercher loin, me direz-vous, il n’avait qu’à s’inspirer des pratiques de certains pays totalitaires du XXe siècle. Ces pays discriminaient néanmoins deux types d’art. D’une part, l’art qui était « dans la ligne droite du parti (unique ) » ; les œuvres, du reste, étaient mandatées par le parti lui-même pour sa propagande (je vous rappelle que c’est l’ancêtre de la publicité) . D’autre part, l’art qui était considéré comme « dégénéré » car « subversif » et critique envers le parti et qui devait donc être réduit au silence, tandis que ces auteurs étaient jetés en prison, internés en psychiatrie, envoyés au goulag et j’en passe et des meilleurs… « Fahrenheit 451 » en tant que dystopie s’inspirait fortement de ces pratiques totalitaires et m’avait paru « à l’époque » quelque peu simpliste alors qu’il soulignait l’importance de l’art. J’étais bien naïve ! D’autant que j’avais fait l’impasse sur un autre aspect important : si les livres sont brûlés c’est qu’ils font souffrir. Au fond la société de « Fahrenheit 451 » se veut utopique. Les livres (que ce soient fictions, poésie ou encore essais mais au fond toute forme d’art) apportent du conflit aux âmes, suscitent des émotions ou les réveillent et c’est inacceptable. On doit être heureux, heureux à en être anesthésié . Cette société refuse tellement la souffrance (et la critique mais ça les bons citoyens n’en ont pas conscience) que les livres sont brûlés et que toute forme narrative est expurgée de conflit. Car la société de « Fahrenheit 451 » veut notre bien. Et il est vrai que « Fahrenheit 451 » diffère de « 1984 ». Les citoyens vivent plutôt bien dans leur maison avec jardin. Il ne semble pas y avoir de guerre ou de rationnements, les enfants jouent dans les squares, etc. Or pour autant les gens ne sont pas heureux. Dans les lieux publics, on en voit s’auto-stimuler par des caresses, d’autres, comme l’épouse du protagoniste, usent et abusent de médications intempestives jusqu’au surdosage. Ce dernier est si fréquent qu’il existe des équipes médicales qui se déplacent au domicile pour quasiment « réparer » la victime. On les répare sans les aider à trouver les raisons de ce surdosage. Le surdosage existe voilà tout, pourquoi se poser des questions, n’est-ce pas ? Mais les médicaments ne sont pas les seuls à procurer une échappatoire, il y a aussi la télévision et l’épouse, passe ses journées devant la chaîne unique à s’abrutir. Son aspiration comme tant d’autres est d’avoir plus d’un écran, chez elle. Tiens donc …

Je pourrai continuer à analyser ce chef-d’œuvre qui met en lumière tant de choses (l'importance du "story telling" par exemple...) mais je m’arrêterai là. Je tiens juste à préciser un fait : l’épouse du protagoniste est une bonne citoyenne, totalement conformiste elle dénonce son époux pour avoir fauté à lire des livres…

dimanche 10 janvier 2021

Interview du poète Gale, poète, Artiviste et Chaman

 


Pour cette nouvelle année , j'ai voulu "innover" et j'ai mis "les les petits plats dans les grands". Imaginez j'ai invité une sommité !

Grâce à l'auteur britannique GK Chesterton, j’ai découvert Gabriel Gale, poète, artiste peintre de son état, et enquêteur à ses heures perdues ("Le poète et les lunatiques")…GK Chesterton le décrit comme un « poète de seconde zone mais un grand peintre » ; je tiens à le signaler car dans une émission de France Culture (toutefois intéressante mais laquelle ? Je les ai toutes écoutées sans prendre de notes... et je ne sais plus... Peut être celle avec Jean-François Merle?) il est dit qu’il est mauvais en tout, ponctué par des gloussements comme savent le faire ceux qui savent… Mr Gale m’a fait l’honneur de répondre présent à mon invitation et est arrivé sans masque à notre rendez-vous à la terrasse d’un petit café fort sympathique à Avignon. Comment se fait-il qu’il se soit déplacé (ma première question) ? « En tant qu’anglais mais aussi esthète, je ne résiste pas à l’appel de la Provence ! », m’a-t-il avoué… Je poursuis, l’ego blessé (les artistes sont un tantinet voire carrément narcissiques, n’est-ce pas ? Ben oui, j’aurais tellement aimé qu’il me dise : « GK Chesterton m’a parlée de vous en de très bons termes ! Mais au fond je ne fais l’objet d’aucun roman que je sache et encore moin du début du XXè siècle ! Eheheh) :

Moi :

« Vous vous dites semblable mais en même temps différent d’un fou, pourriez vous l’expliquer aux lecteurs du blog ? »

Gabriel (après deux sacristains et deux cafés corsés nous sommes devenus « potes », un peu comme autour d’une tête de moine* et un ballon de rouge* pour les connaisseuses) :

« Eh bien voyez-vous Linné, je lui ressemble par ce que je peux, moi aussi, entreprendre les voyages extravagants. Et j’’ai de la sympathie pour son amour de la liberté. Mais je suis différent de lui par ce que, grâce à Dieu, je sais retrouver le chemin de ma demeure. Le fou est celui qui perd son chemin sans pouvoir le retrouver »

Moi :

« C’est très intéressant. Ce que vous dites me rappelle la définition faite du Chaman par les inuits, lue je ne sais plus où « le chaman entreprend des voyages dans les autres mondes, mais il est celui qui sait rentré, à la différence du malade mental. Oui, il est plus « politiquement correct » de dire malade mental, ce qui n’enlève rien au discrédit accordé à cette caste d’humains dans nos sociétés « avancées » »

Gabriel :

« Le Chaman est poète… L’Art soigne l’âme très chère .»

Moi

« Vous prêchez une convaincue ! Mais après une excursion, le poète peut-il revenir dans sa demeure dans notre société ? Car revenir me semble de plus en plus difficile… »

À ce moment-là, la voix de Jiddu Krishnamurti se fit entendre, sûrement sortait-il de « Violette » la boulangerie au Corps Saints. Il lui arrive de revenir pour une douceur. Il clama de sa voix grave : « Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être bien adapté à une société profondément malade. »

Sans paraître surpris - mais Gabriel est un poète et connaît le pouvoir et la magie de l’invisible- il me/nous répondit :

« Je suis tout à fait d’accord. Il est de plus en plus difficile de partir en pérégrination poétique."

Un badaud esseulé qui nous écoutait coupa Gale pour rajouter :

"Pour voyager tout court !"

Gale lui sourit et reprit : "Tenez j’ai écouté une anthropologue française, NastassjaMartin. Le sens commun est perdu en Alaska, vous savez avec le réchauffement climatique . Même les animaux sont en pleine mutation et changent le trajet de leur migration . Elle cite Clarence, un Gwich’in, qui se plaint que les canaux des rêves sont brouillés ; ce qui ne lui permet plus d’aller chercher des réponses. Mais heureusement, ils ont la possibilité d’aller plus loin pour rêver »

Moi :

« Oh ! Ces propos rejoignent ceux de Carl Gustav Jung qui rapportait déjà que les Elgonyi (Afrique) avaient l’habitude de confier leur destin aux rêves de leurs chamans, malheureusement ces derniers se plaignaient de ne plus avoir de grands rêves depuis l’occupation des Anglais, à cause du commissaire du district qui sait ce que ses administrés doivent faire »

Gabriel :

« Un commissaire qui marche debout et a toute sa raison » (si cela vous semble obscure, ne vous inquiétez pas vous allez comprendre )

Moi

« C’est cela. Et c’était en 1922 soient presque cent ans avant les propos tenus par Clarence. Jung était conspué par ses pairs à l’époque (quoique aujourd'hui c'est plutôt le mouvement ésotérique en France qui le cite à tout bout de champs). Mais la situation s’est encore aggravée et de façon exponentielle ! Or la Terre est limitée et le sauvage moribond. (pour certains c'est tout à fait "complotiste" ou ça l'était) Pourra-t-on toujours aller rêver plus loin ?  Car enfin c’est bien cela la question : rêver loin de la civilisation normative et aliénante. Rêver pour se connecter au sauvage, à notre âme, à notre sagesse ancestrale.»

Gabriel :

« Notre âme est infinie très chère... Et regardez les animaux ils s’adaptent, ils réinventent… Ils changent de point de vue. Laissons les humains prendre conscience, laissons-les se retrouver la tête en bas »

Moi.

« Oh je connais votre penchant à marcher sur les mains et je peux même vous citer « Un paysagiste a besoin de voir le paysage à l’envers. Il voit alors les choses telles qu’elles le sont en réalité ». Quand j’ai lu cette phrase cela ne m’a aucunement étonnée. Quand on peint on sait qu’il est bon de retourner la toile pour voir « ce qu’il manque ». Eh puis que fait l’artiste, si ce n’est voir de l’autre « côté du miroir »?"

Je me suis tu.

Les mots n’ont aucune valeur,

Seule la musique de nos cœurs…

 

Gabriel s’est mis debout sur ses mains et moi en poirier. Un rossignol s’est posé sur notre table pour picorer les miettes. Table que je rappelle fictive en janvier 2021 puisque les cafés et restaurants n’ont pas lieu d’être. Fictive pour certains mais si réelle pour nous… 

*une tête de moine n'est pas une tête de moine pour celles et ceux qui ne le savent pas. Mais bon vue les horreurs que j'écris après tout pourquoi pas? Et le ballon de rouge ce n'est pas un ballon couleur rouge. Mais bon c'est presque devenu de l'argot...